C’est le défunt Hassan II qui disait, avec sa sagacité et son flegme habituels, ces mots restés célèbres : «Le Maroc et l’Espagne sont condamnés à s’entendre». La petite phrase exprime beaucoup de choses complexes. On ne «condamne» deux pays à s’entendre que lorsqu’ils passent leur temps à ne pas s’entendre, justement. Ce qui les condamne, c’est la géographie d’abord, qui ne changera jamais, et c’est la communauté des intérêts, qui est plus fluctuante.
À côté de tout cela, il y a bien sûr quelque chose qui condamne les voisins à s’entendre : c’est la raison, tout simplement. Mais la raison a des obligations. Les rapports de bon voisinage sont une affaire d’équilibre et d’échange de bons procédés. Si votre voisin est plus riche ou plus puissant, il doit quand même vous dire bonjour et vous respecter. C’est cela le bons sens, rien d’autre.
Et cela s’applique aussi aux états.
Cette nouvelle crise entre le Maroc et l’Espagne, la énième pour les deux royaumes «amis», n’est pas la plus grave. Mais elle est spectaculaire. C’est comme un enfant qui crie très fort. Il n’a pas nécessairement très mal, mais le cri exprime autre chose, une autre douleur. Ce n’est pas gratuit. Ce n’est jamais gratuit.
Les états aussi ont leur langage, qui est codifié et réglé comme du papier à musique. Quand ils sont frontaliers, ils ne peuvent sacrifier à certaines «délicatesses». C’est la notion de respect et d’échange de bons procédés dont on parlait plus haut dans le texte…
L’Espagne a choisi d’accueillir en catimini le zaïm du Polisario. Elle a considéré qu’elle avait un devoir envers le Polisario, étant donné que le Sahara marocain a été, par le passé, une possession espagnole. Mais elle a aussi un devoir envers le Maroc, celui de le respecter et de le traiter en égal. En accueillant Ghali malade mais en catimini, l’Espagne a manqué à ce devoir.
La mauvaise foi espagnole est au moins égale à celle du Maroc, quand il ferme les yeux devant le «hrig» massif à Sebta ou Melilia. D’un côté comme de l’autre, les deux royaumes ont l’air de se dire : «Tu vois, moi aussi, je peux t’enquiquiner quand je veux !». Ils sont quittes. Quoi d’autre ?
Mais avant de passer à autre chose, on aura vu comment l’Espagne se cache derrière le bloc européen pour crier au loup. On a vu aussi comment le Maroc se repose sur la carte américaine (qui lui a donné des ailes, comme nous l’explique, vu d’Espagne, la chercheuse Maria Rosa de Madariaga, lire interview p 24) et sur son indispensable expertise sécuritaire avant de lancer un pied-de-nez à l’Espagne et à ses amis européens.
C’est cela la réalité d’aujourd’hui. Le Maroc et l’Espagne ont beau être frontaliers, ils renvoient chacun à un continent et à un monde finalement si différents et si éloignés l’un de l’autre. Chacun a besoin de le rappeler à l’autre, dans ces moments de crise où il s’agit avant tout de réinventer la communauté d’intérêt.
In fine, au Maroc et en Espagne, n’en doutons pas, chacun peut faire sienne la devise de feu Hassan II. Condamnés à s’entendre, donc. Et, avant tout, condamnés à créer un socle d’intérêts communs suffisamment fort pour résister aux caprices du temps.
C’est la raison pour laquelle il ne faut surtout pas exagérer la dimension de la crise actuelle, qui tient plus de la réaction épidermique et du rush cutané, aussi spectaculaire que passager.
À bon entendeur…
Karim Boukhari
Directeur de la rédaction