Les 1er et 2 juillet
La nouvelle constitution du pays a été adoptée. Légalement, elle est la loi suprême qui s’impose à tous, mais est-elle légitime au niveau populaire ? La question, quoique choquante pour les officiels, ne manque pas de crédibilité. Ce sont ces mêmes officiels qui, par leurs comportements illégaux et condamnables, ont largement contribué à fragiliser la légitimité de la nouvelle constitution. Le Maroc est installé depuis plus de deux décennies dans ce qu’on appelle «transition démocratique», qui est au fond une phase d’hésitation à opter pour une rupture avec des conservatismes fédérés par une même mentalité : celle de refuser, par peur, l’universalisme et l’humanisme. Chaque acteur légitime son hésitation, voire son refus, par des arguments allant de la spécificité marocaine au «retard historique» des Marocains et spécialement des élites politiques.
Les stratèges de l’Etat ne voyaient pas la nécessité d’une nouvelle constitution. A leur avis, l’ancienne loi fondamentale, celle de 1996, était déjà au-dessus des attentes des politiques, et ceux qui réclamaient une réforme constitutionnelle n’étaient qu’une minorité maîtrisable. Ils ont alors ignoré l’avertissement que fut le boycott des élections de 2007. La colère populaire n’a été aspirée ni par l’INDH (Initiative nationale pour le développement humain), ni par les autres programmes déplaçant vers le social et l’économique des préoccupations qui relèvent de la gouvernance politique. D’ailleurs, les structures clientélistes qui gangrènent le champ social et le champ économique ne font que confirmer que le mal est bien enraciné dans la gestion de la chose publique, donc dans le politique.
Ainsi, quand la conjoncture du «printemps arabe» a permis à la colère souterraine de faire irruption dans le champ politique marocain sous la forme du Mouvement du 20 février, les stratèges de «l’Etat marocain» ont conseillé de jouer la carte de la réforme constitutionnelle. Le chantier a donc été ouvert sous la pression grandissante et grondante du «20 février». Malheureusement, l’intention n’était pas de profiter du moment pour élaborer un nouveau pacte comme le laissait croire le discours royal du 9 mars. La pratique des officiels a montré, depuis, que l’objectif recherché était d’écourter la phase de contestation/revendication par la promulgation d’une constitution réformée, préparée et avalisée dans la précipitation. Au niveau formel, les stratèges officiels ont eu gain de cause. Est-ce pour autant que la colère est aspirée ? Je ne le crois point. La ruse, l’instrumentalisation du religieux, la mise à contribution des repris de justice, la mobilisation des élus véreux, etc., ne servent qu’une politique conjoncturelle. Celle du refus de changement et de l’affirmation de la continuité d’un Etat de privilèges, où le sécuritaire broie toute aspiration à la dignité, à la justice et à la bonne gouvernance. Alors la nouvelle constitution s’impose, non dans la joie, mais dans l’amertume. A des colères passées, s’ajoute une nouvelle colère. La contestation dans la rue peut faiblir, mais nul n’est à l’abri d’autres irruptions. Les 2 et 3 juillet, le temps n’était pas à la fête, mais à l’expression des peurs d’un avenir incertain. Même ceux qui ont voté oui confiaient l’avoir fait pour le roi et non pour la constitution. Un amalgame bien malheureux.
Les 9 et 10 juillet
Le 9 juillet, s’est tenu un conclave de l’Union de la gauche démocratique. L’alliance, depuis 2007, entre le PSU, le PADS et le CNI était soumise à l’épreuve du «20 février». La jeunesse de ces trois partis de la gauche non gouvernementale est partie prenante de ce mouvement de contestation dans les rues. Nombre de ces jeunes sont membres des coordinations locales du Mouvement du 20 février. Les discussions ont porté sur l’impact populaire du mouvement et sur l’orientation de l’alliance pour l’après-constitution. J’étais dans ce conclave comme un chameau dans le pôle nord. La majorité des intervenants, et plus particulièrement les jeunes, ont affirmé que le vote de la constitution n’est qu’une parenthèse et que l’élan populaire du 20 février se développe crescendo. J’ai soutenu que le mouvement a été pris de court par l’Etat et qu’il a raté la conjoncture exceptionnelle du printemps arabe en ne menant pas les batailles qu’il fallait, tout particulièrement celle de la monarchie parlementaire et de l’agenda du référendum. L’engouement pour le Mouvement du 20 février a effacé tout sens critique et prépare le terrain, peut-être, à une éclipse de cette gauche du champ politique. Si cela se concrétise, ce sera une catastrophe pour les démocrates et pour le pays.
Du 12 au 18 juillet
Quand une conjoncture est riche, elle ne laisse personne indifférent. Ainsi, deux structures, éloignées par leurs préoccupations des soubresauts de la scène politique, ont été interpellées par le «20 février». Il s’agit de l’association Cap démocratie Maroc (Capdéma), regroupant des étudiants marocains des grandes écoles françaises et américaines, et du Centre marocain des sciences sociales (CM2S), fondé au sein de l’Université Hassan II par des chercheurs des facultés de lettres et de droit. Capdéma a une distance géographique avec le «terrain politique» marocain, quant au CM2S, la crédibilité de ses travaux lui impose une distance critique avec ses objets de recherche. Mais, au-delà de ces distances, chacune d’entre elles a organisé des journées d’étude dans le «feu de l’action».
Du 12 au 14, c’était l’université d’été de Capdéma à l’Institut agronomique de Rabat. Le 18, c’était la journée d’étude du CM2S à la Bibliothèque universitaire Mohamed Sekkat. Au cœur de ces deux événements, les jeunes du 20 février et l’avenir de la démocratie au Maroc. En participant aux deux, j’ai essayé de mesurer, aussi bien auprès des jeunes activistes qu’auprès des vieux politiques et des chercheurs confirmés, l’impact de cette conjoncture exceptionnelle sur les «démocrates éventuels» du Maroc. Encore une fois, malheureusement, face à une possible évolution du pays vers la modernité, les démocrates se dispersent. Les uns, par prudence politique, se rangent du côté de l’ordre conservateur et avalisent ses dérapages. Les autres, par idéalisme naïf, plongent dans le radicalisme nihiliste qui les «marie» à d’autres conservatismes. Ainsi, la démocratie devient mirage !
Chaque fois qu’un espoir pointe son nez, il est étouffé par les peurs et les précipitations des acteurs. L’ordre conservateur se reproduit, l’amertume s’ajoute aux colères et l’avenir du pays s’assombrit davantage. Triste Maroc.
Par Mostafa Bouaziz, conseiller scientifique de Zamane