La violence qui frappe le Moyen Orient est en train de s’inviter dans d’autres parties du Globe. Certains analystes parlent d’une troisième guerre mondiale en préparation. Pour d’autres, cela fait un moment que cette guerre mondiale a commencé, avec une première déflagration mondiale en septembre 2001 aux Etats-Unis.
Ce qui est certain, et sans forcément rejoindre ces prédictions apocalyptiques, c’est que l’on est bien en face d’un conflit aux proportions mondiales. Le Proche et le Moyen Orient focalisent toute notre attention et cristallisent les divergences du Globe. Nous les portons en nous.
Mais il y a aussi d’autres foyers à risque de déchainement mondial, à l’instar de la guerre en Ukraine. Le pire est en effet à craindre si, par malheur, et ce n’est pas une simple vue de l’esprit, les éclats de la question ukrainienne venaient à croiser ceux de la question palestinienne…
Laissons de côté à présent les calculs géostratégiques et intéressons-nous à des questions plus terre-à-terre, proches des sciences humaines et sociales. La dimension la plus grave de la guerre dont Gaza est le champ de bataille reste l’élément humain. L’enjeu n’est pas seulement territorial. Et la guerre des religions, qui est aussi une réalité, n’effacera jamais le reste. Pas plus que la guerre de l’information, qui fait feu de tout bois, mais qui ne saurait occulter le concret.
Ce qui est concret, justement, ce qui est immédiat et visible presque à l’œil nu, c’est que nous assistons au pilonnage intensif et ininterrompu d’une population prise au piège, privée de tout, coupée de tout, sans électricité et sans aucun moyen de communication,livrée à elle-même, en détresse. Les frontières sont fermées. Il n’y a nulle part où aller, rien pour se protéger. Que devient le petit garçon qui apprend à peine l’alphabet à l’école ? Que devient la femme enceinte, l’épileptique, l’insulino-dépendant, le grabataire qui vit seul, le jeune couple rêveur, le sportif promis à un grand avenir ? Que devient le présent ? Y a-t-il encore un futur ?
C’est cette réalité insoutenable, abjecte, qui est aujourd’hui exposée aux yeux du monde. Elle se passe de tout discours sur les tenants et aboutissants de ce conflit, qui est peut-être vieux et complexe comme le monde, mais dont l’instantané renvoyé aujourd’hui a l’effet d’une bombe qui s’inscrit dans la rétine et l’esprit de tout citoyen «neutre», où qu’il soit, quelle que soit sa religion ou sa couleur de peau.
C’est pour cela que l’enlisement de la «guerre sur Gaza» rejaillira sur le monde entier. Plus le temps passe, même ceux qui jetaient la pierre sur le Hamas vont changer de main et jeter de grosses pierres sur Israël et son allié stratégique, les états-Unis.
Il faut ouvrir les yeux. Ceux qui manifestent aujourd’hui ne sont pas tous antisémites, négationnistes. Ils ne sont pas tous musulmans, ni arabes. En s’enlisant, la guerre se mondialisera. Elle se déplacera de pays en pays et de société en société.Elle s’invitera dans nos pays, nos rues, nos vies. Nous ne serons plus en face d’une guerre mondiale où les armées s’affrontent, mais d’une guerre mondialisée où des civils, des individus, font la guerre à d’autres individus. Partout dans le monde.
La fracture qui est en train de s’opérer, n’est pas seulement verticale, mais horizontale. Surtout horizontale. Contrairement à ce qui se dit et s’écrit, ce n’est pas Israël (et les états-Unis) contre le reste du monde, ce n’est pas le Nord contre le Sud, ce n’est pas l’Occident contre les autres. Ce n’est pas Eux contre Nous.
Non. Cette guerre prendra de plus en plus la forme d’une fracture intra-sociétale. Chaque pays, chaque société, chaque communauté, sera bientôt traversée, balafrée par cette fracture. C’est pour cela que l’urgence aujourd’hui, et avant tout autre chose, c’est de stopper la guerre.
Karim Boukhari
Directeur de la rédaction