L’affaire dite Laârja, rebaptisée improprement par les autorités algériennes Laâroud, corruption du mot Ghred, pluriel Ghroud, qui veut dire en amazigh épaule et par extension de sens «dunes de sables», est un tournant dans les relations déjà tumultueuses entre le Maroc et l’Algérie. Elle ne fait pas qu’exacerber la tension seulement, mais ravive les plaies. Il y a entre le Maroc et l’Algérie, un avatar de la juxtaposition entre l’Histoire et le juridisme. L’Algérien fait valoir le droit qui éclipse l’histoire, et le Marocain est agacé par le droit qui le brime. Ils ont pensé contourner cet imbroglio pour des relations de bon voisinage, et peut-être, dans le cadre du Maghreb. Mais comme chez l’individu, le subconscient est le plus fort. L’Algérien fait valoir le droit, et le Marocain pense toujours histoire. Aucun moyen de contournement n’a réussi.
Le traité qui trace les frontières et établit des relations de bon voisinage, n’aura vécu que ce que vivent les roses, l’espace d’une signature. Un homme pétri d’histoire dans le gotha politique marocain n’a pas cédé à l’attrait du juridisme et a dénoncé l’accord. Il allait lui coûter sa vie, quand Oufkir, l’artisan de l’accord, l’avait menacé. Il s’appelle Allal el Fassi. L’Histoire lui a donné raison.
Le bon voisinage comporterait un traitement autre que de sommer de pauvres agriculteurs de déguerpir, eux qui étaient là avant le tracé des frontières, et en dehors des configurations actuelles de l’Algérie comme du Maroc. Laârja nous fait revenir, hélas, à la case de départ. Il y a un problème de délimitation des frontières entre le Maroc et l’Algérie et ce n’est pas avec les Algériens qu’il faut traiter le différend. Peine perdue. Les autorités algériennes viennent de donner le coup de grâce au «Maghreb des peuples», la seule issue pour résorber ce qui apparaissait à des nationalistes marocains comme un faux problème. Nous avons un problème avec la France, cette nation qui a reconfiguré les contours géographiques de la région, au bénéfice de ce qui était l’Algérie française, et au détriment aussi bien du Maroc que de la Tunisie. Les autorités françaises avaient songé régler la question des frontières avec le Maroc en 1957, et le FLN avait prié aussi bien le néo-Destour que le parti de l’Istiqlal, de surseoir à l’offre française. C’était le non-dit de la conférence de Tanger de 1958 et la raison de sa tenue. La construction du Maghreb permettrait, pensait-on, de diluer un faux problème. Bourguiba autant qu’Allal el Fassi, avaient trainé les pieds avant d’accepter de participer à la conférence de Tanger. En guise de rappel, quand les autorités françaises avaient effectué leur premier essai nucléaire à Reggan, en 1960, le Maroc avait protesté devant les Nations Unies, et le FLN avait apporté son soutien au Maroc. La frontière, disait Ben Bella, alors président de l’Algérie, et une partie de l’aile gauchisante de l’Istiqlal, celle qui va former l’UNFP, n’était pas territoriale mais idéologique. Cela se concevait, mais ne se conçoit plus, et encore moins devant l’acte de Laârja qui met en porte-à-faux le «bon voisinage». C’est triste qu’on revienne à la case de départ. Dans ce dossier des mémoires, nous avons, nous Marocains, un différend avec la France. C’est par la force, la ruse et le savoir, qu’elle a grignoté les espaces, qui étaient, historiquement, culturellement, et politiquement liés au Maroc. Dans cette quête des mémoires, acceptée et voulue par la France, nous avons une vérité à faire valoir. Il est légitime de réclamer à la France ce que fut le Maroc avant qu’elle ne débarque, en force, en Afrique du Nord.
Par Hassan Aourid, conseiller scientifique de Zamane